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Chronique des temps de confinement – n°9

par | 16/05/2020 | 0 commentaires

Dans cette pénultième « Chronique des temps de confinement », deux apprenants, Keltoum et Mohamed S., confinés à Mehun-sur-Yèvre, et leur formatrice Jessica Ferenczi, croisent leurs regards sur cette expérience de la formation à distance. (Les propos recueillis ici l’ont été avant la levée du confinement du 11 mai).

Je suis Keltoum, j’ai 34 ans, je viens d’Algérie, je suis mariée, et j’ai deux filles, Kawthar, 8 ans, et Karima, 6 ans. La grande est en CE1 et la petite en grande section. Je suis en France depuis 2017. Mon mari, Mohamed, a 38 ans, il est arrivé en 2018. Nous habitons à Mehun-sur-Yèvre.

Comment avez-vous connu notre association ?

Keltoum : Quand je suis arrivée, je comprenais un peu le français, mais je ne pouvais pas répondre. Mon mari ne le comprenait pas et ne le parlait pas. Maintenant cela va mieux pour nous deux.

Fin 2017, une assistante sociale de Mehun m’a donné les coordonnées de l’association C’est Possible Autrement. Au début, Marie-Cécile [Lemoine, coordinatrice de l’organisme de formation] m’a fait faire un test et m’a dit que j’avais le niveau A1.

Je prends les cours une fois par semaine, chaque mardi, avec Jessica, [à l’ancienne école du château de Mehun]. Maintenant je suis au niveau A2. Je fais de la grammaire, de l’orthographe, des sons, de l’expression écrite, de l’expression orale, des productions orales et écrites. Parfois on travaille l’oral avec un ordinateur et des casques.

Mohamed : J’ai commencé en septembre 2018.  La première fois, j’ai fait un test avec Jessica. Je suis aussi les cours le mardi. Je suis encore au niveau AI, très faible. Je connais l’alphabet, mais les verbes… On ne fait pas de mathématiques : on n’en a pas besoin, on connaît les chiffres, les additions, les soustractions…

 Keltoum : Les cours durent de 9 h à       11 h. Avant on était 5 ou 6, maintenant on est 3, nous deux et un monsieur, Stéphane. Mais peu importe le nombre, car chacun a son dossier, et Jessica va de l’un à l’autre, s’occupe de chacun. Il y a parfois une bénévole, Viviane, qui aide Mohamed à lire.

Jessica : Keltoum et Mohamed sont arrivés en France à un an d’intervalle, d’où la différence de leur niveau de français. Ils bénéficient tous les deux du dispositif Visa du Conseil régional.

Mohamed a pour objectif de valider le niveau A1 (selon le cadre commun de référence pour les langues : les champs visés sont compréhension écrite, expression écrite, compréhension orale et expression orale). Keltoum souhaite valider le niveau A2 sur les axes écrits ; elle a déjà acquis les compétences en expression orale.

Le niveau A2 permet un certain niveau d’autonomie que ne permet pas le niveau A1.

Mohamed a eu une belle progression de la compréhension et expression orales, il apprend vite.

Tous les deux s’entraident et sont très complices – ce qui fait qu’en cours j’ai été obligé de les séparer !!!

Comment se passe pour vous la période de confinement ?

Keltoum : Le confinement ne change pas grand-chose pour nous, sauf pour les filles qui veulent aller à l’école. Kawthar, la grande, fait des devoirs et en parle avec sa maîtresse au téléphone.

Karima a des devoirs plus petits, mais n’en parle pas avec sa maîtresse.

On peut sortir, car on a un jardin. Les filles reprennent bientôt, le 12 mai pour la petite, le 25 mai pour la grande.

Jessica : Les formatrices ont cessé les face-à-face pédagogiques dès le début du confinement et ont adapté leurs modalités de travail. Mon temps a été partagé entre chômage partiel et FOAD (Formation Ouverte A Distance) avec quelques apprenants. Je participe aussi à l’animation à distance des Ateliers ludiques et pédagogiques du vendredi après-midi. Comme mes collègues, je garde le contact avec les apprenants qui ne peuvent pas ou ne désirent pas faire de la formation à distance.

Vous continuez pendant le confinement les cours avec C’est Possible Autrement ?

Keltoum : Nous n’avons pas d’ordinateur. Jessica nous envoie des mails par téléphone avec des exercices. Je fais les exercices, je lui renvoie par mail, et elle m’appelle. Cela dure une heure. Parfois je ne comprends pas et Jessica m’explique. Même par téléphone, elle corrige mes fautes, elle m’aide.

Elle envoie de petits exercices à Mohamed, des verbes, des conjugaisons. Il les renvoie à Jessica

Et c’est moi qui explique à Mohamed. Les explications par téléphone avec Jessica, ce n’est pas possible pour Mohamed. Il ne comprend pas très bien, c’est mieux en face-à-face. La fille en CE1, elle fait ‘être’ et ‘avoir’, et mon mari fait les exercices avec elle.

Ce qui est bien en suivant à distance, c’est qu’on n’arrête pas les cours. Ces cours nous aident.

Jessica : Le passage à la formation à distance s’est fait de lui-même. Ils ont accepté sans souci de poursuivre leur formation. On voit bien que dans les faits, c’est plus compliqué d’être assidu et de trouver du temps pour tout combiner : formation, enfants à occuper et à éduquer eux aussi à distance, le ramadan qui demande beaucoup de préparation et entraîne un décalage horaire, puis toutes les contraintes personnelles comme l’entretien de la maison, les courses…

Même si les exercices ne sont pas faits en temps et en heure, je garde le contact, et la moindre discussion devient de la formation, car ils me demandent de les corriger ou de les aider quand ils ne savent pas comment dire.

J’ai bien entendu dans leur propos que le plus simple était en présentiel : « on peut montrer c’est plus facile, on peut faire des gestes aussi, on peut te demander tout de suite quand on ne comprend pas, on n’est pas bloqué ! », me dit Keltoum.

Keltoum et Mohamed constatent de plus grandes difficultés de communication par téléphone pour Mohamed. En fait, si on communique moins facilement à l’oral par téléphone, c’est cependant possible en prenant plus de temps et en reformulant. Mohamed préfère communiquer par message écrit WhatsApp parce qu’il peut traduire facilement dans sa langue. Il est à l’aise avec les technologies de communication.

Mohamed et Keltoum mettent à contribution la plus grande de leur fille pour faire la lecture et la grammaire avec son père. Dans une autre famille, les enfants aident leur maman à imprimer les documents que j’envoie par mail. Quand il n’y a pas d’imprimante, ils regardent les exercices sur leur écran (ordinateur, tablette ou smartphone), recopient les exercices à faire ou font directement les exercices sur une feuille. Puis ils prennent en photo leur exercice et me l’envoient, soit par sms, soit par WhatsApp, soit par mail. J’ai appris à Keltoum comment on envoyait des pièces jointes par mail.

Je n’utilise jamais la même technique et m‘adapte à chacun. Avec une apprenante en grande difficulté avec la langue française, la formation porte essentiellement sur l’expression orale. Je lui envoie une photo par mail, elle travaille en autonomie en cherchant le vocabulaire, et ensuite on passe à l’expression orale par téléphone.

Ce qui est un peu compliqué, pendant le confinement, c’est que, contrairement à la formation en présentiel avec horaires fixes, en formation à distance, les apprenants sont un peu moins assidus et ne respectent pas systématiquement les rendez-vous de formation. Il faut relancer certains, tandis que d’autres attendent mon appel avec impatience. Cette situation de confinement a provoqué une perte de repères notamment temporels, chez tous et chacun, et la formation à distance s’est mise en place par défaut, dans l’urgence, pour parer à l’essentiel. De ce fait, elle a manqué au début de cadre de contractualisation.

Dans ces nouvelles modalités de travail, mon assez bonne maîtrise des technologies m’a aidée à ne pas perdre trop de temps dans la préparation et l’organisation de la formation, mais aussi à m’adapter à de nouvelles formes d’action. Le fait que les apprenants n’ont pas toujours les outils informatiques nécessaires à la formation à distance ou les compétences pour les utiliser oblige en permanence le formateur à « bidouiller », à inventer des solutions.

Un exemple : je reçois un exercice sur WhatsApp par photo que je renvoie sur mon mail professionnel pour ensuite l’enregistrer en pdf sur mon ordinateur, puis je fais une copie d’écran de ce pdf pour la coller dans Word pour faire les corrections en insérant des zones de texte dans lesquelles j’écris avec des codes couleurs et des formes pour les différentes fautes. Ensuite je réenregistre en fichier pdf et normalement c’est bon !

Allez, je l’envoie par mail…

Sauf que l’apprenante me dit : « Jessica, je ne peux pas ouvrir ton fichier sur mon téléphone ». 

Je m’empresse de réfléchir à une autre option et donc j’envoie le fichier pdf de mon ordinateur sur mon adresse pro que j’ouvre sur mon smartphone, et comme j’ai l’application pdf, il s’ouvre ! Je prends donc ce fichier en copie d’écran sur mon téléphone, et j’envoie ce fichier devenu photo par sms à l’apprenante. Elle me répond : « Merci ». OUF !!!

 Ne voulant pas recommencer une telle manœuvre, j’ai accompagné l’apprenante à télécharger l’application pdf sur son smartphone.

Comment voyez-vous la suite ?

Keltoum : On ne sait pas quand va recommencer le face-à-face. On a un masque, mon frère me l’a donné. La salle est grande, mais Jessica, pour nous aider, est juste à côté de nous. Et quand nous travaillons sur les sons avec l’ordinateur de Jessica, nous sommes aussi l’une à côté de l’autre avec des casques.

Jessica : En tant que professionnelle, je me pose les mêmes questions à ce jour. Je me demande comment nous allons respecter la distanciation sociale d’un mètre pour faire des activités comme la lecture ou les dictées, ou l’accompagnement individualisé. Une réflexion d’équipe a été engagée à ce sujet au sein de l’association entre les administrateurs et les salariées. Elle devrait déboucher sur des préconisations concernant la sécurisation des espaces et la possibilité de retrouver un fonctionnement en présentiel. Un DUERP (Document Unique d’Evaluation de Risques Professionnels) est en cours de rédaction.

En attendant nous allons continuer la formation à distance. Pour l’avenir, je pense que ce pourrait être bien de concilier les deux modes de fonctionnement, en présentiel et à distance, en particulier pour des personnes inscrites en formation et qui pour x raisons (santé, enfants, mobilité, finances…) seraient dans l’incapacité de poursuivre en présentiel.

Merci à Keltoum et Mohamed et tous nos vœux pour la réussite de leur projet. Et merci à Jessica Ferenczi pour cette mise en perspective de leurs propos, et pour ce qu’elle nous donne à voir du travail d’adaptation de tous en situation inédite.

A suivre !

Et en attendant des jours meilleurs, bon courage, continuez à prendre soin de vous et des autres, et n’hésitez pas à donner de vos nouvelles.

(Pourquoi ne pas nous envoyer une « carte postale », un texte, une photo… ?)

Ce 16 mai 2020

(6ème jour de sortie officielle du confinement)